Lorsqu’on demande à un public de citer 3 noms d’artistes, les idées fusent. Les grands noms d’hommes qui ont fait l’histoire de l’art sont très vite donnés. Il y en a pour tous les goûts et toutes les époques sont représentées. Que se passe-t-il en revanche lorsqu'il s’agit de citer des femmes artistes ? Panique à bord ! Pour la plupart, l’exercice s’avère être beaucoup plus compliqué. Et vous, quels sont les noms de femmes artistes qui vous viennent tout de suite en tête ?
Sommaire
Le début du mois de Mars est placé sous le signe du droit des femmes depuis que la date du 8 mars a été officialisée en 1977 par les Nations unies. C’est l’occasion de présenter trois femmes artistes qui ont, chacune à leur manière, contribuées à l’Histoire de l’Art. Bien sûr, elles sont bien plus nombreuses et il est impossible de toutes les citer !
Cette journée internationale des droits des femmes rappelle chaque année l’importance de lutter pour l’égalité des sexes. Il est triste de constater qu’au XXIème siècle, cette parité n’est toujours pas respectée. Certes, le passé est lourd : plusieurs millénaires d’une société patriarcale sont à remettre en cause. Les femmes sont, par exemple, souvent moins payées que leurs homologues masculins à compétences égales. C’est un problème qu’elles doivent affronter, dans tous les domaines d’activités comme la remise en cause perpétuelle de leurs jugements et capacités. Il en était déjà ainsi dans l’Art. Milieu constitué principalement d’hommes, il est pensé et exécuté par des hommes, à destination d’un public majoritairement masculin.
Pourtant, l’art transcende la notion de classe sociale et de sexe. Impossible cependant de ne pas constater que l’art s’incarne plutôt dans des milieux favorisés. L’artiste ne naît pas ainsi, il le devient. À condition d’avoir accès aux ressources nécessaires et à l’enseignement. Difficile donc pour une femme de percer ce milieu. Il faut avoir accès au matériel, montrer son talent, créer encore et toujours, dans une incessante lutte. Mais les femmes peintres ont toujours existées. Pline l’Ancien révèle que l’idée de peindre sur un mur vient d’une femme. Si on trouve des enluminures réalisées par des moniales au Moyen Âge, il faudra attendre le XVIème siècle pour avoir des tableaux réalisés par des femmes qui ne sont plus des anonymes. Le schéma est alors souvent le même : filles de peintres, elles sont initiées par leurs pères qui décèlent chez elles un don. C’est le cas d’Artemisia Gentileschi.
Née vers 1593 à Rome, elle est la fille d’Orazio Gentileschi, un disciple du Caravage. Manifestant très jeune un intérêt et surtout un don, son père la forme à la peinture d’histoire. Il lui enseigne tout ce qu’il sait : ses recettes d’atelier, l’anatomie, la maîtrise du clair-obscur. La jeune femme quitte Rome, victime d’un viol perpétré par un ami de la famille. Alors jeune mariée, elle part s’installer à Florence à l’hiver 1613. Sa renommée est très vite établie. Elle devient même la première femme à intégrer l’académie du dessin de Florence à 23 ans. Les commandes affluent des plus grandes cours italiennes et européennes lui permettant de voyager et de vivre à Milan, Londres et Naples. Fait remarquable pour une femme à l’époque, elle travaille de manière totalement indépendante.
Adepte des peintures de grands formats qui lui permettent de révéler tout son talent, ses thèmes de prédilection sont des motifs mythologiques ou bibliques qui s’incarnent au travers d’héroïnes puissantes ou vertueuses. La féminité qu’elle dépeint dans ses toiles est radicalement différente des sujets de l’époque. Exit les poses lascives de femmes douces, sur le point de s’offrir. Chez Artémisia, ce sont des femmes fortes et indépendantes.
Au travers de l’influence incontestée du Caravage, elle peint des scènes parfois violentes qui dépeignent la force de caractère des femmes qu’elle représente.
Très attachée à la figure de Judith, personnage biblique qui a sauvé son peuple en décapitant Holopherne, un général de l’armée assyrienne, elle la représente à plusieurs reprises. Ce tableau de 1620, d’une intensité incroyable, est rythmé par les jets de sang d’Holopherne et l’énergie de Judith à accomplir sa tâche. Le rôle de la servante de Judith se démarque dans le tableau d'Artemisia Gentileschi des autres œuvres traitant du même sujet. Bien plus jeune, elle prend une place importante aussi bien dans la composition du tableau que dans l’action : elle est sauvagement agrippée par le poing démesuré d’Holopherne et ne ménage pas ses efforts pour aider Judith, tandis qu’elle est d’habitude représentée passive, sur le côté du tableau. Artemisia place ici la sororité (aka entraide féminine) au cœur de sa représentation.
Fille d’un pastelliste, elle est née en 1755 à Paris et se passionne très vite pour le dessin. Après la mort de son père, elle intègre plusieurs ateliers et se spécialise dans l’art du portrait. Grâce à son réseau, elle se démène pour trouver des mécènes et des commandes. Mariée à un marchand d’art, elle devient en 1778 la peintre officielle de la reine Marie-Antoinette à la cour de France. Grâce à son soutien, elle est admise en 1783 à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture. C’est une véritable consécration car les femmes s’y font rares. Sa carrière sera tourmentée par la Révolution Française. Assimilée à la cour, elle craint pour sa vie autant que le couple royal et se voit contrainte de fuir la France. Elle trouve refuge d’abord en Italie, en Russie puis à Londres, où elle s’installe trois ans. Son style résolument français y est très convoité. Le Premier Empire lui permet de rentrer définitivement en France et elle continue à recevoir des commandes prestigieuses.
Le style doux d'Elisabeth Vigée Le Brun transmet l’air du temps et livre une version flatteuse de la société. Ses portraits sont un peu lascifs, presque érotiques mais toujours délicats.
D’ailleurs, sa participation à son premier Salon en 1783 créa un petit scandale. Elle y propose un portrait de Marie-Antoinette dit « à la Rose » (ci-contre), qui représente initialement la reine dans une robe en gaule, faite de mousseline de coton. Ce type de robe était souvent utilisé pour des vêtements de nuit ou d’intérieur. Très critiquée pour avoir peint la reine en chemise de nuit, elle retire son tableau après quelques jours d’exposition pour le remplacer par un tableau reprenant exactement la même composition, mais cette fois, la reine porte une toilette plus conventionnelle.
Dans son œuvre, Elisabeth Vigée Le Brun est très attachée à la notion d’enfance et d’amour maternel. Jean-Jacques Rousseau met en lumière ce courant de pensée qui sera très en vogue au XVIIIème siècle. Il met en avant que l’amour maternel est instinctif. C’est ce que traduira Elisabeth dans un de ses tableaux où elle se représente tenant sa fille Julie dans ses bras (ci-contre). Le style néoclassique apprécié à l’époque se reconnaît aux costumes « à l’antique » ou « à la grecque », portés par la mère et la fille.
Née à Paris en 1911, Louise Bourgeois est une artiste hétéroclite. Après l’obtention de son baccalauréat en 1932 au lycée Fénelon, elle commence par étudier la peinture à l’École des Beaux-Arts. Elle tient ensuite une galerie de tableaux puis traverse l’Atlantique pour suivre son mari américain. Plus tard, elle se tourne vers la sculpture, mais pratique également le dessin, la gravure et même la broderie, en souvenir de ses parents tapissiers.
Son travail est très apprécié aux États-Unis puis en Europe. Dans les années 60, elle soutient des femmes artistes et participe au sein du Mouvement de Libération des Femmes à des expositions militantes. Sa dernière œuvre majeure est réalisée pour le Mémorial de Steilneset en Norvège où 91 personnes ont été exécutées pour sorcellerie au XVIIème siècle. Pour autant, elle ne se revendique pas comme féministe et refuse les étiquettes en déclarant : « Je suis une femme, je n’ai donc pas besoin d’être féministe ».
L’érotisme a une place importante dans son œuvre. Dès ses premiers dessins dans les années 1940, elle se concentre sur la naissance et la maternité. Son fil conducteur est un phallus représentant le père (comme dans Fillette en 1968, ci-contre), l’araignée incarne quant à elle, la figure maternelle.
Elle restera toute sa vie très marquée par son histoire familiale et notamment les relations extra-conjugales de son père.
C’est véritablement à la fin du siècle que le motif de l’araignée entre dans son œuvre. Si elle en sculpte une œuvre monumentale en 1999, elle les dessine plus discrètement depuis près de 50 ans déjà. Chez Louise Bourgeois, l’araignée est associée positivement aux valeurs familiales. Elle incarne surtout sa mère, tapissière de formation. Elle lui rend ainsi un vibrant hommage et déclare « Parce que ma meilleure amie était ma mère et qu’elle était aussi intelligente, patiente, propre et utile, raisonnable, indispensable qu’une araignée. »
Chacune de ces femmes inspirantes a su marquer l’Histoire de l’Art grâce à ses œuvres qui s’inscrivent résolument dans une volonté de renouveau et de modernisme. Elles ont peut-être été inspirées par d’autres femmes artistes avant elles ou qu’elles ont eu la chance de côtoyer. À n’en pas douter, elles ont sûrement inspirées par leurs travaux intemporels, leurs successeuses dans le monde de l’art et plus encore.
Article rédigé par Manon SALLEY, merci à toi pour ta contribution à ce blog par tes connaissances en Histoire de l'Art, domaine qui m'inspire et me fascine depuis si longtemps.
Source : Adler Laure & Viéville Camille, Les femmes artistes sont dangereuses - Paris, Flammarion, 2018, 160 pages.