John Howard Miller est un artiste américain né en 1918. Son nom est surtout connu pour être associé à la célèbre affiche qu’il dessine en 1942, celle d’une femme forte et indépendante, Rosie la riveteuse. Elle est accompagnée de son slogan enjoignant toutes les femmes à se joindre à elle “We Can Do It !”. Si actuellement cette affiche est perçue comme symbolisant le féminisme, a-t-elle vraiment été créée dans ce but ? Dans quel contexte cette affiche a-t-elle vu le jour et comment continue-t-elle d’être utilisée aujourd’hui ?
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Avant la Seconde Guerre mondiale, la plupart des femmes occupaient des emplois typiquement féminins ou étaient femmes au foyer. Mais l’attaque de la base navale de Pearl Harbor, menée par les Japonais le 7 décembre 1941, vient bousculer le modèle établi. Des milliers de femmes rejoignent les rangs de l’armée dans un service exclusivement féminin, le WAVES (Women Accepted for Volunteer Emergency Service). De plus en plus d’hommes sont envoyés à la guerre. Le besoin de main-d’œuvre toujours présent pousse le gouvernement à mener une campagne de recrutement entre 1942 et 1944. Usant de grandes stratégies publicitaires et même, d’enrôlement en porte-à-porte, ils encouragent les femmes à s’investir dans les usines. 6 millions d’entre elles relèvent leurs manches et partent travailler dans les fabriques d’armements. On les appellera les “Rosies riveteuses” bien qu’elles ne soient pas toutes employées à ce poste. Il s’agit en fait du premier travail délégué par leurs homologues masculins. Grâce à leurs compétences, elles réussissent à occuper différents postes tout au long de la chaîne de production. Elles contribuent à la fabrication de 300 000 avions, 3 300 navires de guerre et 44 billions de munitions, fabriquant ainsi, les équipements dont leurs compagnons ont besoin outre-atlantique.
Si elles sont incitées à retourner à leur ancien travail une fois la guerre finie pour laisser place aux hommes revenus du combat, cette période de l’histoire marque un tournant décisif pour les femmes, leur ouvrant beaucoup d’opportunités. Elles n’ont plus à prouver de quoi elles sont capables, car elles l’ont DÉJÀ fait !
Pas vraiment… Il s’agit presque d’une création du gouvernement américain puisqu’elle découle de l’appel lancé pour embrigader toute la population. Pour impliquer davantage les ouvriers et surtout les ouvrières nouvellement arrivées dans l’usine, l’entreprise Westinghouse Electric and Manufacturing Company qui participe à l’effort de guerre dans le domaine de l’aéronautique, fait appel à l’illustrateur J. Howard Miller afin de réaliser une affiche de propagande. Si le dessin a pour sujet principal une femme, d’autres affiches en revanche montrent bien la place donnée aux hommes dans la hiérarchie de l’entreprise, rappelant que les femmes doivent rester à leur place. Le “We” utilisé n’est pas celui des forces féminines mais bien celui employé pour désigner toutes les forces déployées par l’entreprise (salariés et dirigeants) comme le confirme une autre affiche qui reprend le slogan, “Together we can do it”.
Ce n’est que dans les années 80 que l’affiche qui avait été initialement imprimée en faible tirage pour les besoins internes de la compagnie, connaît un second souffle. Suite à sa parution dans un article du Washington Post illustrant l’art patriotique, les mouvements féministes reprennent le slogan en donnant une nouvelle signification au “We” : celle de toutes les femmes en général et des combats qu’elles mènent de front.
Élément central de l’affiche, ce personnage féminin est-il inspiré d’un vrai modèle, ou bien sort-il tout droit de l’imagination de Miller ? Charles Ruch est l’historien de Westinghouse Electric and Manufacturing Company. Il est également l’ami de Miller, ce qui lui permet de douter qu’il se soit appuyé sur une photographie pour réaliser son dessin. Selon lui, il avait plutôt pour habitude de travailler d’après des modèles vivants. Cependant, l’auteure Penny Coleman reconnaît qu’il est tout de même possible qu’il ait été influencé par une photo publiée dans un journal qu’il aurait pu lire. Dans ce cas, qui est représentée sur l’affiche ?
Il faut attendre plusieurs décennies avant que Geraldine Doyle ne tombe, dans les années 1990, sur un article publié dans un magazine qui montre l’affiche en question. Elle se reconnaît sur une photo d’une jeune femme penchée au-dessus d’une machine, mais aussi comme étant le modèle ayant servi pour l’affiche. Elle avait en effet travaillé dans une usine à Inkster dans le Michigan en 1942. Violoncelliste, elle n’y reste cependant que quelques mois, de peur de se blesser irrémédiablement les mains. Suite à cette découverte, elle se manifeste et l’opinion publique la reconnaît comme étant le modèle original ayant inspiré l’affiche. Sincère dans ses propos, elle pensait réellement être celle qui avait conduit Miller à réaliser son affiche. Grâce au travail de James Kimble, un professeur d’université qui approfondit l’hypothèse de Penny Coleman, on connaît à présent la vraie identité de “Rosie”. Ses six années de recherches l’ont conduit à un vieux journal dans lequel il retrouve la photo de 1942 avec cette légende “Pretty Naomi Parker”.
Née en 1921, Naomie vit avec sa famille en Californie au début de la guerre. Avec sa jeune sœur Ada, elles sont engagées pour travailler dans la chaîne de production de la base aéronavale d’Alameda. Après la guerre, elle devient serveuse et reste anonyme quasiment toute sa vie, Miller ne l’ayant jamais créditée comme source pour son affiche. Cependant, le doute n’est plus permis. Une photo d’elle avait bien été publiée dans un journal local de la ville de Pittsburgh, où le dessinateur résidait au moment de la réalisation de l’affiche. Kimble retrouve en 2015 Naomie et sa sœur, alors âgées de 93 et 91 ans. Une fois cette erreur historique corrigée, elle acquiert la notoriété qui lui revient. Naomie Parker décède en 2018 à l’âge de 96 ans.
La palette, assez minimaliste, est principalement composée des couleurs du patriotisme américain. L’éclat du fond jaune fait ressortir le personnage féminin qui arbore fièrement son bleu de travail et son foulard rouge et blanc. Regard volontaire, bras et muscles contractés dans un geste symbolisant la force masculine, elle est prête à s’investir pour son pays. L’artiste veille cependant à ne pas trop la masculiniser. Il ne faudrait pas oublier qu’une fois les hommes de retour au pays, on demandera à ces femmes qui se sont tant investies, de retourner s’occuper de leurs foyers. Bien qu’en combinaison d’ouvrier, elle est donc coiffée, maquillée et même manucurée. Son regard interpelle directement le spectateur, mais surtout la spectatrice qui peut se reconnaître en elle. Refuser le message qu’elle transmet est presque le signe d’un aveu de faiblesse. D’un simple geste, elle encourage toute la population à retrousser ses manches et se mettre à l’œuvre.
Le personnage de Rosie est présent dans la pop culture américaine dès 1943 grâce à une chanson du groupe The Four Vagabonds qui met en lumière le quotidien de chaque Américaine travaillant dans les usines. Image très commercialisée de nos jours, on la retrouve sur de nombreux supports destinés à la vente. Parfois utilisée comme l’image d’une pin-up reprenant l’esthétisme des années 50, elle appuie aussi des messages féministes forts comme la contraception ou le droit à l’avortement dans des détournements très créatifs. Le personnage de Rosie est également repris dans des hommages plus légers. En 2007, Christina Aguilera tourne un clip dont l’esthétique rappelle la Seconde Guerre mondiale. Elle ne manque pas d’apparaître sur certains plans avec les attributs du célèbre personnage. En 2010, c’est au tour de la chanteuse Pink de se mettre en scène sous les traits de Rosie dans son clip Raise Your Glass. Sous les traits de Marge Simpson, elle figure en 2011 sur la couverture d’un numéro du Utne Reader. Beyoncé reprend à son tour les codes de l’affiche sur une photo qu’elle publie sur Instagram en 2014.
Brièvement utilisé sur une affiche placardée dans une usine, le personnage de Rosie la riveteuse embrasse un destin inattendu et devient une icône de la culture américaine. À la fois symbole du rôle joué par les six millions de femmes dans l’économie de guerre et symbole patriotique, elle est devenue une véritable incarnation du féminisme.
Article rédigé par Manon SALLEY, merci à toi pour ta contribution à ce blog par tes connaissances en Histoire de l’Art, domaine qui m’inspire et me fascine depuis si longtemps.